Jacques Keriguy
狂った一頁 (Kurutta ippêji)
« Une Page Folle »
Projection dans le cadre du Festival international de musiques d'écran
(FIME)
16 novembre 2017, Hyères, villa Noailles
Reprise à l'occasion du festival du cinéma japonais contemporain KINOTAYO
9 décembre 2019, Paris, Musée Guimet
Fiche technique
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Titre français : « Une Page folle »
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Titre original : 狂った一頁 (Kurutta ippêji)
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Titre international : « A Page of Madness »
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Réalisation : Teinosuke Kinugasa
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Scénario : Yasunari Kawabata, Minoru Inuzuka
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Photo : Kôhei Sugiyama
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Production : Kinugasa Productions, Shin Kankaku-ha Eiga Renmei Prod., National Film Art
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Directeur artistique : Chiyo Ozaki
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Interprétation : Masuo Inoue, Yoshie Nakagawa, Ayako Iijima, Hiroshi Nemoto.
Musique : Kazuko Narita, compositrice
Ensemble Polychronies,
Florent Fabre, directeur musical, percussions
Bernard Bollinger, percussions
xxx, flûte
Benshi : Cyril Coppini
Conception : Jacques Keriguy
Tourner la Page
« Une Page folle » est un film de Teinosuke Kinugasa, tourné en 1926 d’après un scénario de Yasunari Kawabata (1899 – 1972), futur lauréat du prix Nobel de littérature en 1968. Perdu pendant quarante-cinq ans, le film a été redécouvert par son auteur en 1970.
« Une Page folle » a suscité l’incompréhension ; quatre-vingts ans après, ce film continue de surprendre en raison de son caractère novateur et de son audace formelle. Le jaillissement d’images confuses, désordonnées, appelées par la seule intuition de l’auteur (ou de ses personnages ?), l’absence de liens logiques qui en révèleraient de façon univoque la signification, contraignent le spectateur à faire intervenir son imagination ou des éclats de sensations extraits des profondeurs de son inconscient pour combler les lacunes et les ambiguïtés du scénario.
Mise en Page
Pour comprendre la substance de l’œuvre, sans doute convient-il de la situer dans l’effervescence artistique qui agitait le Japon durant l’ère Taisho (1912 – 1926). L’épuisement des traditions littéraires stérilisantes, dominées par le naturalisme, suscitent une recherche frénétique de méthodes d’expression novatrices, inspirées des mouvements artistiques parvenus de l’Occident. Naissent, rivalisent, s’enlacent, se combattent trois courants : le premier, le « Courant du bouleau blanc », Shinakaba-ha, prône un syncrétisme artistique, qui unifie arts occidentaux et nationaux, inspiration chrétienne et bouddhiste ; le deuxième, Tanbi-ba, replié sur une position esthétisante, défend « l’art pour l’art » ; le troisième, dont est solidaire le jeune Kinugasa, enfin, se présente sous la dénomination d’« École des nouvelles sensations », Shin-kankaku-ha. Kawabata est le théoricien de cette école. Son manifeste, publié dans la revue Bunkei jidai (« L’Époque littéraire ») sous le titre « Note sur les nouvelles tendances des nouveaux écrivains » (Shinshin sakka no shinkeikô kaisetsu), est un plaidoyer passionné en faveur de la modernité. Kawabata fait ses premiers pas dans la carrière littéraire. Il a déjà publié plusieurs nouvelles dans différentes revues. Pour répondre à ses ambitions, son œuvre doit reposer sur une assise théorique solide. Il lui faut « développer une réflexion inédite au sujet de la place qu’occupent les sensations dans la vie des hommes. » L’évolution de la littérature en Occident apporte une réponse à son interrogation. Le dadaïsme, le surréalisme naissant abolissent la séparation entre le sujet et l’objet, l’autre s’identifie à soi. L’idée est d’autant plus séduisante qu’elle rejoint le principe fondamental du shintoïsme et bouddhisme ; de ce dernier, Kawabata retient le principe d’infinitude qui affirme la métempsychose et, de ce fait, nie l’idée même de mort. La psychanalyse naissante, enfin, préconise le concept d’« association libre », qui libère l’intuition, refuse l’ordonnancement des mots et des idées et délie une succession d’images irrationnelles, hétéroclites, décousues. « Plus simplement, la succession des images respecte dorénavant la subjectivité, l’intuition, tout en privilégiant les sensations ».[1]
Le scénario d’Une Page folle met en application ces théories. Partagées, assimilées, par le cinéaste, elles donnent naissance à ce film singulier.
Un vieux marin, employé dans un hôpital psychiatrique, cherche à libérer sa femme, internée après le meurtre de leur enfant. Il évoque les moments heureux de leur vie commune. À cet instant, un vent de révolte agite l’hôpital. Quand il reprend son travail, il comprend que sa femme refuse de le suivre. Les images fusent, s’amoncellent, se font, se défont : souvenirs, joies, peines, angoisses, désespoir de l’époux rejeté, hallucinations des déments. Le rythme effréné de leur succession sur l’écran, les trucages audacieux, la maîtrise du montage éblouissent et donnent le vertige.
Si l’on considère que ce manifeste et le scénario d’Une Page folle marquent l’avènement de l’immense écrivain qu’est devenu Kawabata, comment ne pas remarquer que son dernier roman, Tanpopo, « Les Pissenlits », dont la rédaction a été engagée en 1964, mais qui est demeuré inachevé, reprend certains des thèmes traités dans le film. Une jeune femme est conduite dans un asile psychiatrique par sa mère et son fiancé. Elle souffre du symptôme de cécité devant le corps de l’homme qui l’aime et qui espère l’arracher à l’hôpital. Entre autres propos rapportés par les personnages, on trouve le récit d’un infanticide. Coïncidences ? Peut-être, mais, parvenu au terme de sa carrière littéraire, Kawabata ne veut-il pas signifier, de façon plus explicite que ne l’a fait l’auteur du scénario, l’impossibilité d’imprimer l’être dans une réalité qui échappe aux sens autant qu’à la raison ; seules l’imagination, la mémoire, parfois, l’intuition ont pouvoir de dépasser l’incohérence des images projetées par cette réalité et captées par les sens. Négation de l’esprit, négation de l’amour, aussi, car les sentiments s’engloutissent dans l’inconscient.
Retrouver la Page
L’intention des promoteurs de ce projet est de présenter au public le film en lui proposant aussi fidèlement qu’il est possible les conditions dans lesquelles il a été créé en 1926. Jamais encore une telle tentative n’a été entreprise en France, où l’on s’est contenté de superposer aux images des notes d’inspiration occidentale dominées par le jazz ou, dans une autre tentative plus récente, une musique très éloignée de la tradition japonaise.
C’est pourquoi il a été décidé de faire appel à une compositrice japonaise, Kazuko Narita, pour définir la trame du commentaire musical, qui laissera place à une improvisation contrôlée. Les musiciens, présents au pied de l’écran, jouent des instruments de percussion et de la flûte. A également été retenu le principe de faire appel à un narrateur, le benshi, qui commentait les films muets. C'est Musei Tokugawa, célèbre benshi, qui racontait le film au cinéma Shinjuku Musashinokan, dans le quartier de Shinjuku. Cette intervention semble d’autant plus nécessaire que le film ne contient pas d'intertitres, ce qui le rend difficile à suivre pour le public moderne.
La correspondance entre le scénario et l’œuvre ultime de Kawabata, Tanpopo, a paru justifier que ces sources fournissent de façon exclusive les mots prononcés par le benshi lors de la projection du film. C’était, nous semblait-il, garantir l’unité de l’œuvre et établir un équilibre entre les images, la musique et les mots qui les ont inspirées.
[1] Sakai, Cécile, Kawabata, le clair-obscur. - Paris : Presses universitaires de France, 2014. (Collection Écriture), p. 171 – 182.
Teinosuke Kinugasa
(1896 – 1982)
Au début de sa carrière, Teinosuke Kinugasa joue des rôles féminins en tant qu’onnagata dans le théâtre kabuki. En 1917, il est recruté en tant qu’acteur par la compagnie Nikkatsu, le plus ancien studio de cinéma créé en 1913 au Japon. Il joue dans quarante-quatre films. Sa curiosité, son ambition artistique le poussent à militer en faveur d’une séparation entre le théâtre classique et le cinéma qui, jusqu’aux années vingt, a pour fonction de prolonger et de favoriser la diffusion de ce dernier.
En 1922, il devient réalisateur pour la compagnie fondée par Shôzô Makino. Il écrit et réalise de nombreux films, une centaine environ, jusqu’à sa mort. La plupart sont tombés dans l’oubli ; deux retiennent cependant l’attention : Kurutta ippêji, tourné en 1926, alors que Kinugasa a rallié l’école des nouvelles sensations, et Jigokumon, « La Porte des enfers », film historique dont l’action se situe dans le Japon du XIIe siècle. Ce film lui vaut le Grand Prix du festival de Cannes en 1954 pour la remarquable qualité esthétique des images.
Très populaire au Japon à l’époque du cinéma muet, jusqu’au milieu des années 1930, le benshi avait pour rôle d’expliciter et de commenter les films. Totalement maître de la composition du texte, il pouvait rédiger et lire des dialogues ou introduire des interprétations, des observations de son choix. Confiée à des hommes surtout, mais aussi à des femmes, cette fonction apportait à qui l’exerçait avec talent un prestige supérieur à celui des acteurs, du réalisateur, même, comme le prouve la place attribuée au nom et à la photographie du benshi sur les affiches annonçant les projections.
La fonction n’a pas totalement disparu. De nos jours encore, des benshis se produisent sous l’écran de quelques cinémas.
PUBLICATION RÉCENTE

Le Japon a naturellement déposé dans son théâtre un reflet des valeurs qui ont agité sa société et des pans entiers de son imaginaire spirituel et religieux. Comment franchir les barrages de la langue et de la culture ? Comment transplanter les mots japonais, porteurs de tant de sens, de sons et de rêves, comment les restituer avec les mots et la sensibilité d’ici et de maintenant ? Comment convertir l’énigme en un ensemble accessible au lecteur et, dans ses manifestations les plus développées, au spectateur occidental ? Ces regards portés sur cinq pièces classiques, sont accompagnés de la captation sonore et visuelle de la composition pour la scène de l’une d’elles. Curiosité et admiration se muent en complicité pour faire renaître une émotion éclose il y a plusieurs siècles.
Illustrations de la couverture : Louis Imbert.
Parution : juillet 2017
Trois notes de shamisen
roman
Eté 1885. Un officier français, Gabriel, parvient à Nagasaki, à bord de la Triomphante. A la différence de ses compagnons, il ne juge ni ne condamne le pays qui l’accueille. Au contraire, il entreprend d’en déchiffrer patiemment les énigmes. Depuis peu ouvert aux étrangers, le Japon lui offre l’occasion de construire, puis d’ancrer dans la réalité un rêve. Ce vagabond a besoin de s’enraciner ; à l’issue d’une douloureuse réflexion, il se met en quête d’une femme qu’il aime et qui l’aime. Il épouse une courtisane, Sennosuké, symbole vivant de cet exotisme qui le fascine, oiseau d’un autre monde dont il interprètera chaque jour le chant. Les années passent. Peut-on parvenir à pénétrer l’âme d’un pays aussi différent que l’était à cette époque le Japon ? N’est-ce pas illusion de prétendre entrer dans l’intimité affective et sensible de ses habitants ? Gabriel s’emploie à mettre en sommeil sa conscience occidentale ; il rejette l’usage de sa langue natale et de tout ce qui a composé sa vie avant son arrivée. Avec quel succès ? Déchiré entre deux cultures alternativement repoussées et adorées, il va tenter d’accorder les événements de la vie quotidienne à sa vision chimérique du pays.
Ouvrage disponible exclusivement en version électronique.

Golden Nihon Collection
Direction : Jacques Keriguy
Editions AnimaViva multilinguë



